J’ai mené des ateliers d’écritures dans au moins 6 établissements pénitentiaires, entre 1988 et 2001, dont un hiver entier d’intervention hebdomadaire au Centre de jeunes détenus de Gradignan : jamais il ne m’a été possible d’entrer sans gêne, sans une émotion particulière, dans aucun de ces établissements, pour aucune des rencontres. La densité de ce qui se passe pour un intervenant, artiste, écrivain, enseignant, et probablement aussi pour les autres accompagnants, est terriblement complexe, parce qu’elle nous dérange dans notre corps, son territoire, ses repères temporels, son rapport aux autres évidemment, et encore plus, sur le fond, la question morale. On doit intérieurement affronter ce qui tient à la violence, à la culpabilité, et à ce qui nous fonde comme communauté parce que nous partageons le monde : ici on a été mis à l’écart du monde. Et, pour l’intervenant, le temps de la séance, même s’il y a une sonnette d’appel au secours (magnifique 6ème chapitre du texte de Cathie Barreau, lorsque la tension dégénère en violence), on est soi-même enfermé à clé sans recours. Alors, ces dernières années, s’est prolongée, ou est née, une littérature particulière : celle qui fait trace ou exploration de cette confrontation. Vous avez peut-être lu Le bruit des trousseaux de Philippe Claudel, La grande maison de Michèle Sales, Fragmentation d’un lieu commun de Jane Sautière... Pour ma part, l’écriture de Prison (verdier, 1998), quoi qui ait pu en résulter, était une explication nécessaire avec ce qui avait été hors toute commune mesure, et notamment le décès d’un jeune détenu qui avait fréquenté plusieurs mois mon atelier, Frédéric Hurlin (dans le livre, Brulin). Cathie Barreau prend une autre piste, parce qu’elle affronte, dans ce texte, peut-être moins la condition pénitentiaire elle-même (omniprésente, évidemment), que ses fantasmatiques, ou ses instances symboliques. Parce que ce sont 2 femmes qui interviennent dans la réclusion des hommes, et que la question du rapport aux corps est sans cesse posée, jusqu’au danger ou à la bascule. Parce que l’atelier d’écriture fait partie du récit, et que ce qu’on interroge, c’est ce que déplace la langue quand on la convoque volontairement. Cathie Barreau se saisit donc de la fiction, et la construit en 7 figures. À chacune, magistralement, correspondra une figure de l’atelier d’écriture ou sa restitution. On retrouvera, dessiné de tout près, les personnages dont chacun d’entre nous a eu à négocier : le gardien, l’instituteur, chacun avec sa logique propre. Mais elle affronte, avec l’outil de la fiction, la question qu’on nous demande précisément de taire : travailler ou échanger avec, toucher qui violé ou tué, quelle est part obligée de compromis avec soi-même, et quel rapport avec l’instance même qui nous amène ici, à savoir qu’on écrit, qu’on peint ? Le récit s’étend sur la durée d’une année d’intervention en prison, avec le passage des saisons, et sans cela il ne serait pas littérature. FB Cathie Barreau est l’auteur d’une dizaine de livres dont : Trois jardins ; Journal secret de Natalia Gontcharova ; Ecoute s’il neige ; Visites aux vivants aux éditions Laurence Teper ; Comment fait-on l’amour pendant la guerre aux éditions Buchet-Chastel ; Solstice et au-delà aux éditions Tarabuste... et 2 livres chez publie.net et papier. Elle a fondé et dirigé pendant 12 ans, à La Roche-sur-Yon, un lieu consacré à la pratique de l’écriture créative, devenu résidence d’écrivains, de lectures et d’exposition, la Maison Gueffier. Elle est aujourd’hui directrice de la Maison Julien Gracq. ...
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