Torse nu et culotté

La toundra se colore des derniers éclats du jour. Il est 14 h, la température affiche – 29 degrés. Guidé par ma boussole, je m’enfonce à ski un peu plus dans l’immensité glacée, éclairé seulement par la lueur de ma frontale. Le grand désert blanc, d’un silence saisissant, semble presque accueillant. Avare du moindre souffle, je gère mon effort. Les pensées naissent dans ma trace puis s’effacent aussitôt face au devoir. De rares élans et quelques rennes, perdus dans l’étendue polaire, traversent furtivement des décors figés. Il m’a fallu vieillir pour ressentir la beauté simple du bonheur. Lorsqu’un Lapon, le seul être humain à plus d’un jour de ski, m’ouvre sa porte, il n’en croit pas ses yeux, je le lis dans son regard. Un troll tout droit sorti de la mythologie nordique débarque chez lui. Comment expliquer à ce vieil éleveur de rennes parlant uniquement le Same de m’accepter sous son toit ? Un blanc aussi long qu’une nuit arctique s’installe. Il n’a pas le choix. Entre nous, peu importe ce qui se raconte, ce qui compte, c’est la chaleur d’une voix autre que la mienne sourde et radine. Vivre serait-il contagieux ? Ce soir, j’ai un lit. Demain ? Un jour de plus à vivre, un jour au ciel prometteur. La météo et la glisse sont complices. J’abandonne Torbjörn sans autre douleur qu’un profond déchirement en dedans. À s’obstiner ainsi, si loin de tout, il n’y a que des coups à prendre. Torse nu et culotté, un combat physique, immergé dans une nature vaste et dure jusqu’à la démesure, une errance à l’écoute des murmures sourds des minorités et à la clameur du Monde.