Cet essai historique traite de la destinée de l’Espagne et des commencements de sa république. « Il est des enfants qui naissent sous de tristes auspices, la nature comme la fortune les a maltraités. Ils sont condamnés à une existence tourmentée, souffreteuse, et menacés d’une fin précoce... On ne peut nier que la république espagnole ne soit venue au monde dans de fâcheuses conjonctures. Tout paraissait lui être contraire ; les fées qui ont présidé à sa naissance semblaient avoir maudit son berceau. L’une lui avait dit : ton état civil sera un imbroglio suspect que tu auras grand’peine à débrouiller. Une autre l’avait dotée d’ennemis dangereux, une troisième d’amitiés compromettantes. Une quatrième, brochant sur le tout, lui annonça que le monde la traiterait en enfant trouvé, ramassé au coin d’une borne, et se refuserait obstinément à reconnaître sa légitimité. Toutes ces prédictions se sont accomplies, car les fées ne mentent point. La pauvre fille a vu deux pères revendiquer l’honneur de lui avoir donné le jour, et peu s’en est fallu qu’elle n’ait péri victime de leur querelle. Ni les ennemis acharnés, ni les amis inquiétants, don plus fatal encore, ne lui ont manqué, et, à l’exception d’une très petite république, l’Europe entière persiste à ne la point admettre dans sa société. Aussi, sur la foi de ces pronostics, les gens qui aiment à vaticiner ne lui accordaient pas vingt jours d’existence. Cependant, quels que soient ses futurs destins, elle est encore debout, et sa santé, qui a résisté à de cruelles atteintes, paraît s’être raffermie par la lutte. Si elle gagne son procès, elle devra tout à elle-même ; elle pourra se vanter que son courage et son désir de vivre ont tout fait, que ni les étoiles ni les hommes ne l’ont aidée. A qui des radicaux ou des républicains appartenait légalement la république proclamée à Madrid le 11 février 1873 ? Les premiers avaient des droits sérieux à faire valoir. Sans leur adhésion, sans leur concours, rien n’aurait pu se faire ; ces royalistes récemment convertis disposaient de la majorité dans les cortès, et la question avait été tranchée par cette majorité. Toutefois leurs anciens adversaires et leurs nouveaux alliés alléguaient qu’un parti qui a longtemps combattu une forme de gouvernement et ne l’accepte que de guerre lasse, par une sorte de résipiscence tardive, est mal placé pour présider à son installation, — que de ci-devant ministres du roi Amédée seraient en butte aux perpétuelles suspicions des patriotes, que d’ailleurs, si les radicaux avaient voté la république, les circonstances qui venaient de rendre son avènement inévitable avaient été adroitement ménagées par les républicains, qu’aux républicains seuls revenaient les honneurs de la victoire. Il est certain que leur chef, M. Figueras, habile manœuvrier politique, s’était chargé du premier rôle dans l’intrigue parlementaire dont l’abdication du roi Amédée fut la conséquence. Convaincu que le jeu même des institutions devait amener fatalement la chute de la royauté, on l’avait vu réprouver les folles insurrections fomentées par les violents et les incorrigibles de son parti, recommander à tout son monde la patience et l’attention, dont il attendait plus que d’une émeute, et on lui attribue généralement le mérite d’avoir inventé ce fameux coup de partie, cette affaire des artilleurs qui contraignit le roi à s’en aller...
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