Dans le récit très tendu de Pierre Mari, quel que soit le principe qui gère l'équilibre entre expérience vécue et fiction (Nerval nous y a souvent menés, et le connaisseur de Kleist qu'est Pierre Mari utilise évidemment chacun de ces paramètres narratifs en toute connaissance de cause), il y a d'abord la qualité de sa langue. Ce qu'on apprend sur nous-mêmes tient évidemment d'abord et seulement à l'expérience de cette langue tendue, accrochée jusqu'à l'extrême à l'homme, aux paysages, aux idées. Je ne sais pas si cela induit une poétique du récit : elle est constamment subvertie, à chaque pas du texte, par la rigueur de la convocation du réel. Peut-être faut-il cet exercice extrême (qui remémorent les récits fantastiques de Blanchot) pour que justement on oublie les échafaudages, qu'on se laisse happer par la narration elle-même. C'est qu'il y a du réel, charrié dans les lignes. Avec de la vie, de l'amour, de la mort. Et que la littérature a toujours été à cet endroit. Mais que l'assumer pour le présent, c'est le prendre tel que nous sommes : le narrateur (comme Pierre Mari lui-même) donne des formations de culture générale en entreprise – deux univers qui pourraient paraître inconciliables, et qui pourtant nous traversent en continu. Dans cette prescription sociale dure, de temps, d'argent, de hiérarchie et relation, on conduit son destin – on en assume la part libre irréductible. On la trouve, nous, dans les livres. Ici, les personnages (et peu importe leur statut réel ou fictif, et que le personnage dont le prénom est Valéry puisse coïncider avec quelqu'un qu'on connaisse) lisent et écrivent. Mais si c'était le prétexte pour inclure dans le récit une réflexion sur l'écriture ou la littérature, ou faire étalage de son propre parcours, tout évidemment s'effondrerait. Il y a l'expérience d'un chemin, et ce à quoi il contraint – les livres, et l'écriture, viennent ici. Nous affrontons à publie. net nombre de paradoxes : la lecture sur écran (aussi confortable qu'elle devienne sur iPad ou autres appareils de nouvelle génération – et l'epub de Point vif inaugure pour nous une nouvelle approche de la maquette epub), est un geste encore restreint, comme autrefois ces collections d'avant-garde ou ces revues qu'on dénichait dans telle et telle librairie et elles seulement. Pourtant, c'est bien parce que ces textes nous sont nécessaires que nous souhaitons qu'ils soient au coeur de notre expérience. RIen ici qui flatte. Seulement (on en a parlé ailleurs), si nous ne dédidons pas ensemble de ce travail, les textes eux-mêmes ne sont plus accessibles. C'est notre raison de continuer, et la dette que nous avons aux auteurs qui nous confient ces textes qui sont en même temps des arrachements de vie, des lignes esthétiques qui représentent chaque fois, pour qui a écrit, une étape décisive. Je remercie Ronald Klapka d'avoir accepté la mise en ligne d'une lecture de Point vif. FB Pierre Mari, un jour de Kleist Pourtant, les livres, tous les livres, sont devenus à mes yeux la vie même. Ils sont exactement vivants et il ne me viendrait pas à l’idée de les traiter comme des objets rares, fussent-ils anciens et de grand prix [1]. Ceci est une parfaite anecdote, et à la vérité : non. Je lis, avec infiniment de plaisir, Du Paradis, Journal de Poméranie de Corinne Bayle, aux éditions Aden. Nécessairement au cours des années en question (1792-1804) , irradiées par les figures de...
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