Sommes-nous si loin de la guerre ? Les avions qui exercent des missions de surveillance sur les Balkans décollent de bases françaises et reviennent s’y poser la mission terminée. Les images nous parviennent en temps réel. Pourtant, c’est l’Europe, c’est tout près : cette sauvagerie, quand plus rien ne la contrôle, mais que l’humain y apparaît tout nu, nous révèle la part de nous-mêmes que nous ne contrôlons pas, et qui nous sert aussi pour lutter, résister. Et la fonction de la littérature, dans un monde qui l’ignore, se fiant à son propre chaos, et reconduisant dans le chaos oppression et viol comme s’il n’y avait jamais eu d’histoire ? Dominique Dussidour a voulu appréhender cela dans un livre fort, Le Risque de l’histoire, paru chez Laurence Teper en 2008 (et nous confirmons – c’est d’ailleurs le premier titre pour lequel nous l’ayons proposé – : si vous avez acheté le livre en librairie, transmettez-nous une petite photo pour preuve, nous vous donnerons accès gratuitement à cet ensemble numérique !). Autour, en amont du livre, ce qui est le chemin de l’auteur : réflexions, ainsi ce texte central dans le travail de Dominique Dussidour, Le roman est-il concevable ?, une étude sur La fin du roman d’Ossip Mandelstam. Que sont ces esquisses et matériaux ? Des récits qui ne s’embarrassent pas de forme, et du coup exhibent le chemin d’écriture à nu. Et cette non-contrainte devient à son tour forme ici de ce qui s’enlève par la poétique même de la phrase : la guerre n’est pas énonçable, pas regardable. Mais tout ce qu’elle dérange, horreur comprise, nous rejoint de tout près, traverse notre relation à l’autre. Et c’est tout l’inconscient du monde qui vient alors près. La guerre n’en est qu’une radicalité. Gracq, à propos de son Rivage des Syrtes dit qu’il a voulu palper le sentiment de l’histoire : est-ce que ce n’est pas ici l’actualisation d’une des figures nécessaires de notre permanente relation au dehors du monde ? Quel qu’en soit, justement, le risque ? Attention, on ne sort pas indemne de ce travail. FB Formuler est un travail âpre. Râper la réalité (les souvenirs, par exemple) pour en faire advenir les mots de la formulation Je me suis appris à formuler, une image après l’autre, chacune dévolue à l’espace, ce pré carré des formules dont la racine carrée est le temps mais le temps perturbe, est à manier avec précaution comme une caisse d’explosifs abandonnée après une très ancienne guerre, un pis, deux enfants démodés, un vestibule obscur, un couple sensuel, des tarentules et des baleines qui traînent aussi poussives que des mots, et qui resurgit à la faveur d’un seau de plumes qu’on a prises pour le cauchemar des jours, les deux enfants se tiennent la main, la formulation n’est pas la vérité, seulement le leurre se donne ces allures-là, de vérité, et de vérité de la vérité, les deux enfants ne s’engouffrent pas dans cette citadelle, trop enfants, trop lucides, se tiennent la main pour la contourner, traverser le vestibule obscur et déboucher sur les pins où debout, la formulation évite la vérité comme la peste, un écueil, la formulation des images dévolues à l’espace s’accomplit lentement, d’une forme à l’autre, d’une couleur à l’autre, sautent d’une à une autre comme la traversée d’un gué houleux, car les mares ont débordé, le vestibule obscur sous ses dehors idylliques est le lieu d’une houle savante en écueils, en gouffres profonds et en dangers mythiques, à quoi déclencher les secousses du temps quand déjà l’espace. On ne traverse pas le temps en traversant le vestibule obscur. Le temps se traverse-t-il ? Existe-t-il un autre temps que le temps de la formulation ? (Je ne traverse que...
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