Hàkkas en aura bavé toute sa vie. Né en 1931 dans une famille pauvre, il grandit sous l’Occupation, puis la Guerre Civile. Devenu communiste, il est persécuté en même temps par la droite au pouvoir, qui l’envoie en prison pour quatre ans, et par le Parti, que sa franchise indispose. Il vit de petits boulots, représentant, artisan, consacrant tout son temps libre à l’association culturelle qu’il a fondée avec des amis. A trente-huit ans il attrape le cancer et meurt trois ans plus tard. Ses écrits : quelques poèmes, trois pièces en un acte, trois recueils de nouvelles. C’est tout. Une œuvre en miettes, comme sa vie. Des pages volées à cette vie trop dure, puis à la mort ; les unes griffonnées en hâte sur des paquets de cigarettes, les autres dictées sur des lits d’hôpital. Au fond, vu les circonstances, Hàkkas n’a pas peu écrit, mais beaucoup... Comme tout ce qu’il a laissé, Le bidet (1970) et Les cénobites (1972), ses deux grands recueils, sont d’abord une chronique : l’histoire d’une vie, la sienne, à peine teintée de fiction ; et en même temps, celle de sa génération. Une autobiographie collective. Ils étaient jeunes, idéalistes, et la plupart ont héroïquement résisté à la répression. Vingt ans plus tard, on les retrouve embourgeoisés, avachis, vaincus par le confort moderne. (Enfin, tout est relatif : ce que l’auteur reproche à ses compatriotes, c’est de se faire installer... un bidet.) Triste Grèce des années 60, encore secouée par son passé, déjà bousculée par le futur. Le bidet, ricanant requiem pour une génération foutue, festival de sarcasmes et de provocations diverses, en trace un portrait plein de rage, d’humour, de féroce lucidité. Mais Hàkkas n’est pas seulement un virtuose de la satire. Il a beau râler, sa tendresse affleure à toutes les pages ; il n’y a qu’à l’entendre évoquer Kessariani, le faubourg populaire d’Athènes où il passa toute sa vie, où se déroulent ses histoires, et les petites gens qui l’habitent. Et puis Hàkkas n’a pas l’esprit sectaire, le monde pour lui n’a pas cette allure bien carrée, les bons ici les méchants là-bas, si rassurante pour les naïfs. Il sait voir les pailles et les poutres dans tous les yeux — y compris dans les siens. Où a-t-il donc appris ça, en ce temps-là ? En plus il est maladivement honnête. Il dit tout, c’est plus fort que lui. Voilà ce qui l’a perdu — et sauvé. Hàkkas est grand pour avoir vécu, pensé, écrit, non comme on le lui disait, mais comme il le sentait ; pour avoir été libre, de plus en plus. Et Dieu sait combien c’est difficile — surtout quand à vingt ans on était à genoux devant la statue de Staline. Les livres de Hàkkas (c’est là un de leurs points communs avec l’impressionnant Toi au moins tu es mort avant de Chrònis Mìssios), sont l’histoire d’un homme qui peu à peu, à travers mille épreuves, se libère des autres et de lui-même. Mais justement, si Hàkkas est devenu un écrivain majeur, c’est que cette liberté conquise, il sait aussi, comme Mìssios, la faire passer dans les mots. Dès les premières nouvelles du Bidet, il a trouvé sa voix, ce ton à la fois désinvolte et brûlant, tout en ruptures, dérapages, télescopages, bouffées de fantastique et d’absurde... Mais c’est le cancer qui va le mener plus loin encore. Sans doute, la maladie n’a pas bouleversé sa trajectoire d’écrivain : en découvrant le mal dans son corps, Hàkkas a dû y voir une confirmation, une cristallisation en lui du mal qui l’entourait ; dans ce qui lui reste à écrire, déchéance physique et décomposition sociale serviront de métaphore l’une à l’autre. Le cancer a surtout joué un rôle d’accélérateur : des derniers textes du Bidet, œuvre d’un condamné à mort, aux Cénobites écrits par un mourant, on voit l’homme et l’écrivain mûrir à...
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